« Faire des sciences avec Stars Wars » et l’un des nombreux ouvrages publiés par Roland Lehoucq, astrophysicien passionné de SF, qui prend un malin plaisir à décortiquer les œuvres de fiction pour en dénicher les invraisemblances ou, au contraire, les inspirations de génie. Rencontre avec un vulgarisateur scientifique pas comme les autres.
Dans quels domaines, ou sur quel exemple précis, la science et la technologie d’aujourd’hui ont-elles rejoint la fiction d’il y a 40 ou 50 ans ?
Roland Lehoucq : La fiction a rarement inspiré la science, c’est plutôt l’inverse qui se passe… Mais la science-fiction joue souvent le rôle de « recruteur » en motivant de jeunes gens à faire carrière dans les sciences. Pour en revenir à votre question, dans la série télévisée Star Trek on voit des communicateurs à écran qui ressemblent à des téléphones portables, des ordinateurs de poche omniprésents ou le tricordeur du docteur McCoy, comparable aux outils de l’imagerie médicale moderne. Sur le clonage et les manipulations génétiques, nous sommes capables de faire sur les animaux des choses envisagées par la SF sur les humains (par exemple dans Le meilleur des mondes, de A. Huxley).
On a beau relire les classiques, on a peu l’impression que la révolution numérique a été anticipée ?
Roland Lehoucq :Cela dépend du niveau auquel on regarde. Si l’on parle de l’usage et des détails techniques, la SF n’a par exemple pas anticipé le partage en ligne, les réseaux sociaux ou Internet tel qu’il se présente actuellement. Si l’on parle de concepts, la mouvance cyberpunk de la SF a traité de « sphère informationnelle » (le cyberespace) et de diffusion de masse, de surveillance généralisée et de communication à distance. La SF a aussi discuté de la notion de « singularité technologique », convergence de l’informatique, de la biologie, des neurosciences et des sciences cognitives, qui produirait une « intelligence artificielle ». Nous en sommes encore loin, mais qui sait… Ajoutons enfin que la SF ne fait pas de prospective et ne tente pas de prédire le futur. Elle interroge plutôt notre présent et pose la question des conséquences du progrès scientifique et technique sur les humains.
Est-ce que le transhumanisme (corps bardés de puces et de technologies auxiliaires) vous paraît être un horizon qui relève de la SF… Et surtout, est-il souhaitable ?
Roland Lehoucq :Des personnes tentent déjà de dépasser l’humain par leur attirail technologique : ce n’est plus de la SF. Le fait que ce soit souhaitable ou non est une question déjà dépassée : cela se produit déjà de multiples façons (voir Oscar Pistorius et de manière générale les prothèses avancées, les personnes qui s’implantent des puces RFID sous la peau, les interfaces cerveaux-machines, etc.). Les humains ont inventé des outils qui modifient la façon dont ils se reproduisent (avec l’usage de la procréation médicalement assistée), ou dont ils se soignent (médicaments, prothèses, par exemple). Avec la thérapie génique et les dernières avancées en matière (la technique CRISPR/Cas9), l’humanité pourrait modifier son patrimoine génétique pour s’adapter aux modifications de son milieu naturel, pour éviter certaines maladies, voir pour améliorer ses performances. Grâce à son pouvoir sur la matière inerte – par la technique – et vivante – par la médecine et la génétique – l’humanité est en train de modifier les conditions de son évolution et pourrait réaliser son rêve millénaire : se libérer des contraintes de la nature. Tout cela ne va pas sans poser la question d’une redéfinition de ce qu’est l’être humain et de son rapport à l’environnement.
Quelle forme ne pourrait pas avoir un extraterrestre qui aurait traversé des années-lumière pour nous rendre visite ?
Roland Lehoucq :Il est assez difficile d’imaginer quelle forme il pourrait avoir tant il y a de possibilités. En revanche, on peut plus facilement faire une liste d’improbabilités. Ainsi, sa chimie ne sera très probablement pas fondée sur le silicium, en remplacement du carbone qui est nettement plus abondant. Son corps ne pourra pas être complètement asymétrique, car la symétrie apparaît très trop dans l’embryogénèse pour des raisons physiques. Si c’est un bipède, il ne pourrait pas faire plus de 3 mètres de hauteur sous peine de se briser forcément en cas de chute.
« D’éventuels visiteurs ne seront pas pacifiques par défaut
Faire voler plus lourd que l’air, c’est connaître les lois de la balistique… découvertes, sur Terre du moins, pour développer l’artillerie, puis des engins volants à vocation militaire. Doit-on en conclure que d’éventuels visiteurs pourraient avoir une fibre belliqueuse ?
Roland Lehoucq :Un grand nombre des inventions humaines ont été faites pour des buts belliqueux ou ont été appliquées à de tels buts. Les humains sont belliqueux, mais tentent quand même de limiter leurs bas instincts par la politique, les règles sociales, etc., sans toujours y parvenir d’ailleurs. Concernant d’éventuels visiteurs, je pense qu’il faudra être prudent et ne pas imaginer qu’ils soient pacifiques par défaut. Par ailleurs, s’ils ont pu franchir les immensités interstellaires leur technologie sera certainement bien plus avancée que la nôtre et nous ne pèserons pas lourd s’ils s’énervaient…
Dans un de vos ouvrages, vous avez cherché à vérifier la validité scientifique des Aventures de Tintin et Milou à travers Le Temple du Soleil, Objectif Lune, On a marché sur la Lune et L’Étoile mystérieuse. Votre verdict ?
Roland Lehoucq :Dans ses albums lunaires, Hergé a souvent très bien fait son travail de recherche, en laissant des points de côté. Bon point : les scènes d’impesanteur dans la fusée et l’explication qu’en donne Tournesol. Mauvais point : Tintin qui crie « Stop » pour que la fusée s’arrête au niveau de Haddock ; or, elle ne s’arrêtera pas au prétexte que ses réacteurs sont arrêtés, mais continuera en ligne droite à vitesse constante (principe d’inertie). Dans le Temple du Soleil, les différentes phases de l’éclipse sont bien dessinées, mais la durée totale du phénomène est fausse (pour une bonne raison : il faut que l’intrigue avance !). Ce qui est amusant, c’est que l’on peut utiliser cette éclipse pour déterminer la position du Temple du Soleil ! Quand à l’Etoile mystérieuse, c’est le plus fantaisiste des quatre mais il se prête à d’intéressantes discussions sur l’astronomie. On peut ainsi déterminer quel jour et à quelle heure Tintin fait son observation initiale !
Selon vous, quels sont les classiques de SF indispensables à la culture générale, accessibles à tous et plausibles d’un point de vue scientifique ?
Roland Lehoucq :La SF ne cherche pas à être scientifiquement plausible. Son but est plutôt de poser des questions sur les conséquences sociales des progrès scientifiques et techniques. La SF est donc une sorte d’expérience de pensée sociale, un laboratoire d’exploration des possibles. Les œuvres de SF les plus scientifiquement plausibles ne sont pas forcément les plus intéressants. Quelques titres quand même, intéressants et dont les aspects scientifiques sont raisonnables (ils relèvent de la hard science fiction) : Tau Zero de Poul Anderson ; la trilogie martienne de K. S. Robinson ; Aube d’acier et Crépuscule d’acier de Charles Stross ; Starfish de Peter Watts ; L’espace de la révélation d’ Alastair Reynolds.
« Le voyage interstellaire attendra plusieurs siècles »
Si on veut être lucide, la colonisation de l’espace, c’est à quel horizon ?
Roland Lehoucq :Nous pourrions retourner sur la Lune rapidement si les moyens y étaient mis. Mais le prix est énorme et la période ne se prête à pas dépenser de l’argent simplement pour que l’humanité colonise la Lune. Quant à coloniser l’espace, cela pourrait commencer par établir de vastes colonies orbitales, contenant des milliers d’individus, comme celles qu’imaginait Gerard O’Neill dans les années 1970. Mais ce sera beaucoup plus difficile. Quant au voyage interstellaire, son coût énergétique est si faramineux (plusieurs fois la totalité de l’énergie consommée par l’humanité en un an) qu’il faudra attendre au bas mot plusieurs siècles.
Propos recueillis par F.C.